"Le hareng de Mélenchon" : l'éditorial de Marianne Magnin 

M. Mélenchon et La France Insoumise (LFI) ont des idées très claires, ou plutôt très sombres, sur l’Union européenne et tout particulièrement sur le franco-allemand et son rôle dans la construction européenne.

Il est bien entendu difficile de savoir, au-delà des grandes phrases et photos communes, au-delà des savantes mises en scènes électorales, ce que pensent réellement les alliés de circonstance de LFI, nommément le Parti Socialiste, le Parti Communiste, EELV, etc., de ces positions, dures, parfois violentes. Que pensent les socialistes, successeurs non seulement de Jacques Delors, mais partenaires historiques du parti de Olaf Scholz, ancien plénipotentiaire du franco-allemand ? Que pensent les écologistes, dont beaucoup sont bi-citoyens, engagés autant dans la politique allemande que française, parfois même élus en Allemagne ?

En politique, l’honnêteté est d’éclairer nos concitoyens et non de les enfumer à travers des effets de manche ! J’y vois une stratégie de mise en scène mensongère, dangereuse pour notre démocratie pourtant déjà fragilisée par la complexité du XXI^ème  siècle.

La France Insoumise entraîne ses partenaires dans des champs politiques qui ne sont pas les leurs habituellement.

Cela promet des lendemains qui vont déchanter, voire déjanter.

J’ai ainsi invité Frédéric Petit, Député sortant et candidat à sa ré-élection dans la 7^e circonscription des Français de l’Étranger et Secrétaire général adjoint du Parti Démocrate Européen (PDE), fin spécialiste du franco-allemand et des affaires européennes, à réagir à un petit florilège révélateur des positions de M. Mélenchon.

Toutes les phrases citées ci-après ont été non seulement écrites et publiées, mais elles sont toujours revendiquées aujourd’hui par les élus et soutiens au sein de La France Insoumise.
 

JL Mélenchon (JLM) dans son livre ‘Le Hareng de Bismarck (Le poison allemand)’, paru en 2015 :

« Pour avoir laissé faire l’annexion sauvage de l’Allemagne de l’Est, pour avoir laissé démanteler à [la] main [de l’Allemagne] l’ex-Yougoslavie, pour avoir encouragé l’installation des protectorats dans tous les pays voisins de l’Union européenne et permis l’annexion économique pure et simple d’une bonne partie de l’est de l’Europe, pour avoir accepté d’entrer dans un conflit qui n’est pas le sien avec la Russie, la France [doit] recracher le poison [allemand] qui la détruit ».

Frédéric Petit (FP) : Je n’ai pas de commentaire sur la qualification d’annexion !! M. Mélenchon était conseiller général de l’Essonne à cette époque, et peut-être un peu loin de ce qui se passait dans le monde. Rappelons quand même que Mme Merkel est issue des soi-disant annexés, que les soi-disant annexeurs continuent de payer un impôt spécial pour compenser la décision « un mark = un mark », que plusieurs référendums ont eu lieu, etc… C’est une expression surréaliste.

Je ne vois pas en quoi tous les événements cités l’ont été « à la main de l’Allemagne ». Que M. Mélenchon vienne comparer les changements de niveaux de vie en Lituanie, en Slovaquie, en Pologne, moins de vingt ans après leur adhésion volontaire, par des référendums écrasants, à l’Union européenne ; qu’il prenne conscience du nombre de jeunes enthousiastes et engagés dans la construction européenne que ces pays nous apportent (sans parler des grandes Européennes et Européens comme Gieremek, Tychanovskaia…).

Ce sont des réunifications : y voir des annexions, n’est qu’une mise en scène pour créer du conflit à des fins électorales.

JLM dans son livre ‘le Hareng de Bismarck’ :

« L’Allemagne est de nouveau un danger. [Son] modèle est, une fois de plus, un recul pour notre civilisation »

FP : Sans commentaire. C’est terrible : je n’ose penser à quoi font référence « de nouveau », et « une fois de plus ». Inadmissible !

Mes amis socialistes et écologistes raisonnables l’acceptent-ils ?

JLM dans son livre ‘le Hareng de Bismarck’ :

« Ce sont [les Français] qui sont aujourd’hui dominés. Sans [l’] affrontement [avec le gouvernement allemand], aucune politique de relance écologique et sociale de l’activité n’est possible. Ni aucune refondation de l’Europe, et encore moins l’indispensable régénération démocratique. »

FP : Nous avons donc fait la preuve, pendant ces cinq années, que M. Mélenchon s’est trompé. Dans ce genre de propos, il crée de toutes pièces un ennemi fantasmé pour ne pas avancer. L’Union européenne n’est pas un champ de bataille, mais une méthode de médiation permanente.

Oui, l’Allemagne et la France ont parfois des intérêts divergents, comme beaucoup d’autres pays. Mais la construction européenne permet de les résoudre ; « Unis dans la diversité », la devise de l’Union européenne, pourrait se comprendre parfois comme « Unis malgré les divergences ». Sans affrontement, justement. Du discours de la Sorbonne, à Mezeberg (rôle de l’Allemagne dans le monde), au 18 mai 2020 (dette commune), pour arriver au nouvel accord de coalition après les dernières élections en Allemagne (accord, au passage, qui est l’expression d’une démocratie vivante), et au discours récent du Chancelier Scholz : l’Allemagne et la France, et tous les autres pays de l’UE avec eux, ont bougé, cherché, négocié. Pas de poison de l’un, de soumission de l’autre, mais, justement, la « relance écologique et sociale » de l’Europe : 2 000 milliards, dont 700 dans les trois premières années.

C’est vrai, les insoumis ne l’ont pas votée. Comme en France, ils n’ont pas voté les 30 milliards d’investissements écologiques… étrange !

Ces postures, ces appels, ces grandes envolées, n’étaient donc que du théâtre ?

JL Mélenchon dans son livre ‘le Hareng de Bismarck’

« Le retour, en Ukraine et dans les Pays Baltes, des organisations nazies… ».

« [L’Allemagne a instrumentalisé] l’OTAN pour ses propres visées d’expansion (…) C’est sous [la] pression [de l’Allemagne] que la Hongrie, la Pologne, et la République tchèque ont intégré l’OTAN en 1999 pour étendre une domination continentale dont la vocation est devenue sans objet. Oui, sans objet. À moins que quelqu’un n’imagine sérieusement que la Russie voudrait envahir les Pays Baltes ou la Pologne… »

« Désormais l’OTAN arrive aux portes de la Russie. À présent, l’étau se resserre au prix d’une guerre féroce en Ukraine. »

« L’Ukraine, riche réserve d’esclaves. »

FP : Difficile pour moi de commenter à froid ce genre d’inepties, d’enfilages de contre-vérités et propos de comptoir. M. Mélenchon pourrait commencer par comprendre l’histoire séculaire de cette région des « Kresy » (confins), l’histoire de la naissance finalement assez récente de l’impérialisme « moscovite » ; il pourrait au moins modérer son a priori que l’Allemagne serait férocement antirusse ; et surtout, il devrait laisser là sa petite lorgnette franchouillarde qui confond tout ce qui se trouve au-delà de l’Oder (du Rhin ?), qui assimile les rapports à la Russie des Lituaniens avec ceux des Ukrainiens, qui prend l’exception pour le tout, qui flatte les bas instincts et méprise les lents processus de réconciliation humaniste qui sont notre histoire.

Je dirais simplement que je ne vois pas bien comment confier le destin de mon pays et de ma nation à qui que ce soit sur la base d’une telle confusion entre les siècles, les territoires, les stratégies bilatérales et multilatérales récentes, entre mise en scène électorale et obsessions personnelles et hors sol…

C’est affligeant, en tant que personne habitant et connaissant ces territoires ; en tant que citoyen qui essaie de rester éclairé.

Les insoumis à l’Assemblée nationale :

« Nous ne voterons pas la résolution [poussant au traité d’Aix la Chapelle et créant l’Assemblée parlementaire franco-allemande] (…) [parce que,] avec [vos] méthodes a-démocratiques inséparables des objectifs de [vos] « résolutions », vous use(z) du passage en force pour faire endosser des positions dont le grand nombre ne voudrait jamais si on lui demandait son avis. »

« [Le traité d’Aix la Chapelle vise à] la création de Frankenstein territoriaux, les nouveaux ‘euro-districts’ »

FP : Notre travail a donc été rejeté avec moquerie et suffisance par M. Mélenchon et ses amis. Comment peut-il y avoir passage en force au parlement ? Parce qu’il faut travailler quelques jours sur un sujet majeur ? Le « grand nombre » de nos concitoyens, en particulier ceux installés en Allemagne, sont très loin de rejeter la création du Fonds Citoyen, plébiscité dans les faits, ou l’harmonisation de situations ubuesques des deux côtés du pont de Kehl ou entre Forbach et Sarrebruck.

Et ce travail, déserté par M. Mélenchon et ses amis, a provoqué des résultats concrets au niveau européen : des centaines de milliards dans les investissements environnementaux (les trains de Bulgarie viennent de lancer leur modernisation), Berlin à cinq heures de Paris en train (l’engagement pour sept heures vient d’être officialisé), les 30 milliards d’euros d’investissement écologiques dans les territoires en France, le chômage partiel étendu à tous les citoyens européens pendant la pandémie…

J’aimerais donc aussi savoir comment mes collègues des régions transfrontalières, écologistes, socialistes, et même membres de « Die Linke », ceux qui se battent depuis des années pour la reconnaissance de ces régions transfrontalières (un tiers de la population de l’Union européenne est concernée !), peuvent s’associer à cette position, non seulement violente sinon ridicule dans son expression, mais aussi archaïque sur le fond.

Je conclus ainsi : en politique, l’honnêteté n’est pas juste de dire la vérité à nos concitoyens mais aussi de refuser les alliances et compromissions qui contredisent son propre socle de valeurs. Quel est le socle de valeurs des nouveaux alliés de LFI ?

En politique, le courage de ses convictions balaie tout, même la crainte d’une sortie de scène. C’est ainsi que les électeurs retrouveront confiance dans notre système démocratique, et dans leurs élus pour représenter et défendre leurs sensibilités et intérêts.

Marianne Magnin

Secrétaire générale, Fédération des Français à l’Étranger du Mouvement Démocrate